Page:Nietzsche - Considérations inactuelles, I.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne vous disent rien ? Vous aviez là un de ces superbes jouets divins que vos mains ont brisé. Et si, dans celle vie étiolée et traquée jusqu’à la mort, vous enleviez l’amitié de Gœthe, c’est par votre faute qu’elle se serait éteinte plus tôt encore. Tous vos grands génies ont accompli l’œuvre de leur vie sans que vous y ayez contribué, et maintenant vous voudriez ériger ces œuvres en dogmes, pour que l’on ne puisse plus encourager personne de ceux qui viendront dans l’avenir ! Mais, chez chacun d’eux vous avez été cette « résistance du monde obtus » que Goethe appelle par son nom dans l’épilogue à la Cloche, pour chacun vous avez été les grognons hébétés, les êtres étroits et envieux, ou méchants et égoïstes. Malgré vous, les génies ont créé leur œuvre ; c’est contre vous qu’ils ont dirigé leurs attaques, et, grâce à vous, ils s’effondrèrent trop tôt, brisés ou stupéfiés par la lutte, laissant un travail inachevé. Et c’est à vous que l’on permettrait maintenant, tamquam re bene gesta, de louer de pareils hommes ! De les louer avec des paroles qui laissent deviner à qui s’adresse au fond votre louange, et qui, pour cette raison, « pénètre jusqu’au cœur avec tant de feu » qu’il faut vraiment être de sens obtus pour ne pas comprendre devant qui vous vous inclinez. Vraiment, s’écriait déjà Goethe, nous avons besoin d’un Lessing, et malheur à tous les magisters vaniteux, malheur à ce ciel esthétique si le jeune tigre dont la