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HUMAIN, TROP HUMAIN


plante et la pierre. La souffrance d’autrui est chose qui doit s’apprendre : et jamais elle ne peut être apprise pleinement.

102.

« L’homme agit toujours bien… » — Nous ne nous plaignons pas de la Nature comme d’un être immoral, quand elle nous envoie un orage et nous mouille : pourquoi nommons-nous immoral l’homme qui nuit ? Parce que nous admettons ici une volonté libre s’exerçant arbitrairement, là une nécessité. Mais cette distinction est une erreur. En outre : il est des circonstances où nous n’appelons pas immoral même celui qui nuit intentionnellement ; on n’a pas de scrupule, par exemple, à tuer intentionnellement une mouche, simplement parce que son chant nous déplait, on punit intentionnellement le criminel et on le fait souffrir, pour nous garantir, nous et la Société. Dans le premier cas, c’est l’individu qui, pour se conserver ou même pour ne point prendre de déplaisir, fait souffrir intentionnellement : dans le second, c’est l’État. Toute morale admet le mal fait intentionnellement dans le cas de légitime défense : c’est-à-dire quand il s’agit de l’instinct de conservation ! Mais ces deux points de vue suffisent à expliquer toutes les mauvaises actions faites par des hommes contre des hommes : on veut se procurer du plaisir ou