Page:Nietzsche - Humain, trop humain (1ère partie).djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
124
HUMAIN, TROP HUMAIN


s’éviter de la peine ; dans l’un comme dans l’autre sens, il s’agit toujours de l’instinct de conservation. Socrate et Platon ont raison : quoi que l’homme fasse, il fait toujours le bien, c’est-à-dire ce qui lui semble bon (utile), selon son degré d’intelligence, l’étiage actuel de son raisonnement.

103.

« L’innocence de la méchanceté ». — La méchanceté n’a pas pour but en soi la souffrance d’autrui, mais sa propre jouissance, sous forme par exemple d’un sentiment de vengeance ou d’une forte excitation nerveuse. Rien que la taquinerie montre quel plaisir il y a à exercer sa puissance sur autrui et à en arriver au sentiment agréable de la supériorité. Maintenant, l’immoralité consiste-t-elle à prendre du plaisir au déplaisir d’autrui ? La joie de nuire est-elle diabolique, comme le dit Schopenhauer ? Le fait est que nous prenons plaisir dans la nature à rompre des branches, à briser des pierres, à combattre les animaux sauvages, et cela, pour en tirer la conscience de notre force. Le fait de savoir qu’un autre souffre par nous rendrait donc immorale ici la même chose à l’égard de laquelle nous nous sentons autrement irresponsables ? Mais si on ne le savait pas, on n’y trouverait pas non plus le plaisir de sa supériorité ; celle-ci ne peut se manifester que dans la souffrance d’autrui, par