Page:Nietzsche - Humain, trop humain (1ère partie).djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
150
HUMAIN, TROP HUMAIN



114.

Ce qui n’est pas grec dans le Christianisme. — Les Grecs ne voyaient pas les dieux homériques au-dessus d’eux comme des maîtres, et eux-mêmes au-dessous des dieux comme des valets, ainsi que les Juifs. Ils ne voyaient en eux que le mirage des exemplaires les plus réussis de leur propre caste, partant un idéal, et non le contraire de leur propre être. On se sent parents les uns des autres, il se forme un intérêt réciproque, une espèce de symmachie. L’homme prend une noble idée de soi quand il se donne de pareils dieux, et se place dans une relation semblable à celle de la petite noblesse à la grande ; au lieu que les peuples italiens avaient une vraie religion de paysans, en continuelle inquiétude vis-à-vis de puissances malignes et capricieuses et d’esprits-bourreaux. Là où les dieux olympiens reculaient, la vie grecque aussi était plus sombre et plus inquiète. — Le christianisme, au contraire, écrasait et brisait l’homme complètement et l’enfouissait comme en un bourbier profond : dans le sentiment d’une entière abjection, il faisait alors tout d’un coup briller l’éclat d’une miséricorde divine, si bien que l’homme surpris, étourdi de la grâce, poussait un cri de ravissement et pour un instant croyait porter en soi le ciel tout entier. C’est à cet excès maladif du sentiment, à la profonde corruption de tête et de cœur qu’il nécessite, que