sont le plus agréables et où ils ne veulent pas d’autre
part éprouver d’envie. Nommer quelqu’un « divin »
c’est dire : « ici nous n’avons pas à rivaliser ». En
outre : tout ce qui est fini, parfait, excite l’étonnement,
tout ce qui est en train de se faire est déprécié.
Or personne ne peut voir dans l’œuvre de l’artiste
comment elle s’est faite ; c’est son avantage,
car partout où l’on peut assister à la formation,
on est un peu refroidi. L’art achevé de l’expression
écarte toute idée de devenir ; il s’impose tyranniquement
comme une perfection actuelle. Voilà
pourquoi ce sont surtout les artistes de l’expression
qui passent pour géniaux, et non les hommes de
science. En réalité cette appréciation et cette dépréciation
ne sont qu’un enfantillage de la raison.
La conscience de métier. — Gardez-vous de parler de dons naturels, de talents innés ! On peut nommer des grands hommes de tout genre qui furent peu doués. Mais ils acquirent la grandeur, devinrent des « génies » (comme on dit), par des qualités dont on n’aime pas à signaler le manque lorsqu’on les sent en soi : ils eurent tous cette robuste conscience d’artisans, qui commence par apprendre à former parfaitement les parties, avant de se risquer à faire un grand ensemble ; ils se donnèrent du temps pour cela, parce qu’ils avaient