prendre ainsi quelles qualités purement humaines
ont conflué en eux, quelles circonstances heureuses
y ont concouru : ainsi une energie qui un jour
trouve sa voie, une application décidée à des fins
de détail, un grand courage personnel, puis la
chance d’une éducation qui a de bonne heure offert
les meilleurs maîtres, modèles, méthodes. À la
vérité, si leur but est de produire l’effet le plus
grand possible, l’incertitude sur soi-même et cette
addition d’une demi-folie a toujours fait beaucoup ;
car ce qu’on a admiré et envié de tout temps en
eux, c’est justement cette force grâce à laquelle ils
rendent les hommes sans volonté et les entraînent
à l’illusion que des guides surnaturels iraient devant
eux. Oui, cela élève et anime les hommes, de croire
quelqu’un en possession de forces surnaturelles :
c’est en ce sens que le délire a, comme dit Platon,
apporté aux hommes les plus grandes bénédictions.
— Dans de rares cas isolés, cette espèce de délire
peut bien aussi avoir été le moyen par où une telle
nature excessive dans toutes les directions a été
maintenue solidement : même dans la vie des individus
les conceptions illusoires ont souvent la
valeur de remèdes, qui par eux-mêmes sont des
poisons ; cependant le poison finit, dans tout
« génie » qui croit à sa divinité, par se montrer à
mesure que le « génie » devient vieux : qu’on se
souvienne par exemple de Napoléon, dont l’être
s’est certainement formé justement par cette foi en
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Apparence
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HUMAIN, TROP HUMAIN