mystérieux, effrayant, la rapidité des orages
qui éclatent, partout le prodigue débordement
des cornes d’abondance de la nature : et au contraire,
dans notre civilisation, un ciel clair, quoique
non lumineux, un air assez stable, de la fraîcheur,
du froid même à l’occasion : ainsi les deux zones
s’opposent l’une à l’autre. Quand nous voyons là-bas
comment les passions les plus furieuses sont
domptées et brisées avec une étrange force par des
conceptions métaphysiques, cela nous fâche comme
si, sous les tropiques, des tigres sauvages étaient
étouffés devant nos yeux sous les anneaux de monstrueux
serpents ; notre climat manque de pareils
phénomènes, notre imagination est modérée, même
en rêve il ne nous arrive pas ce que des peuples
antérieurs voyaient à l’état de veille. Mais faudrait-il
ne point nous féliciter de ce changement, avouer
même que les artistes ont essentiellement perdu à
la disparition de la civilisation tropicale et nous
trouvent, nous autres non-artistes, un peu trop de
sang-froid ? En ce sens, les artistes ont peut-être
raison de nier le « progrès », car en effet : on
peut mettre en doute si les trois derniers mille ans
montrent une marche progressive dans les arts.
De même un philosophe métaphysicien, comme
Schopenhauer, n’aura pas de motif de reconnaître
le progrès, s’il considère les quatre derniers millénaires
au point de vue de laphilosophie métaphysique et
de la religion — Mais à notre sens l’existence de la
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HUMAIN, TROP HUMAIN