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HUMAIN, TROP HUMAIN

Il faut que le vulgaire ait l’impression qu’il y a là Une force de volonté puissante, voire inéluctable ; pour le moins il faut qu’elle paraisse exister. La volonté forte est admirée de tout le monde, parce que personne ne l’a et parce que chacun se dit que, s’il l’avait, il n’y aurait plus de limite pour lui ni pour son égoïsme. Qu’il soit démontré alors qu’une pareille volonté forte produise quelque effet très agréable pour le vulgaire, au lieu d’écouter les vœux de sa convoitise, on l’admire une fois plus et l’on se félicite soi-même. Au reste, qu’elle ait toutes les qualités du vulgaire : moins il rougit devant elle, plus elle est populaire. Ainsi : qu’elle soit violente, envieuse, exploitrice, intrigante, flatteuse, rampante, bouffie d’orgueil, le tout selon les circonstances.

461.

Prince et Dieu. — Les hommes se comportent à beaucoup d’égards avec leur prince comme avec leur Dieu, comme d’ailleurs souvent le prince fut le représentant de Dieu, ou du moins son grand-prêtre. Cette disposition de vénération, d’inquiétude et de respect presque pénible s’est faite et est maintenant beaucoup plus faible, mais parfois elle reparaît et s’attache en général aux personnages puissants. Le culte du génie est une réminiscence, de cette vénération des princes-dieux. Partout où l’on s’efforce d’élever des hommes individuelle-