Page:Nietzsche - Humain, trop humain (1ère partie).djvu/464

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
464
HUMAIN, TROP HUMAIN

comme du liège : on est à la fin tenté de diviser l’humanité en une minorité (une minimalité) d’hommes qui savent faire de peu beaucoup, et une majorité de ceux qui savent faire de beaucoup peu de chose ; bien mieux, on tombe sur des maîtres en sorcellerie à rebours qui, au lieu de créer de rien le monde, créent du monde un rien.

628.

Sérieux dans le jeu. — À Gênes, du haut d’une tour j’entendis, au moment du crépuscule du soir, un long air de clochettes : il ne voulait pas finir et résonnait, comme insatiable de lui-même, par-dessus le murmure des rues, dans le ciel du soir et la brise marine, si triste, si puéril en même temps, si mélancolique. Alors je pensai aux paroles de Platon et je les sentis tout à coup au fond du coeur : Tout ce qui est humain ensemble ne vaut pas le grand sérieux, et pourtant — —

629.

De la conviction et de la justice. — Ce que l’homme dans la passion dit, promet, résout, le tenir ensuite dans le sang-froid et le calme — c’est un devoir à mettre au nombre des plus lourds fardeaux qui pèsent sur l’humanité. Être obligé d’admettre à jamais les conséquences de la coIère, de la vengeance enflammée, du dévouement enthousiaste — cela peut éveiller contre ces sentiments