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HUMAIN, TROP HUMAIN

redonner aussitôt à l’esquif un nouvel équilibre sur la mer de la consonance harmonique. Les hommes modernes éprouvent de coutume une impatience extrême quand ils rencontrent de pareilles natures qui ne produisent rien sans qu’on puisse dire d’elles qu’elles ne sont rien. Mais il y a des dispositions particulières où leur vue amène cette question extraordinaire : À quoi bon en somme de la mélodie ? pourquoi ne nous suffit-il pas que notre vie se reflète paisiblement dans un lac profond ? — Le moyen-âge était plus riche que le nôtre en natures pareilles. Qu’il est rare de rencontrer encore un homme qui peut ainsi vivre sans cesse en paix et joie avec lui-même, même dans la foule, se disant comme Gœthe : « Le meilleur est le calme profond où je vis et grandis à l’égard du monde, acquérant ce qu’il ne saurait me prendre par le fer et le feu ! »

627.

Vie et aventures. — Quand on voit comment certaines gens savent s’arranger avec leurs aventures — leurs aventures insignifiantes de chaque jour — de sorte qu’elles deviennent un terrain qui porte fruit trois fois l’an ; tandis que d’autres — et combien ! — sont entraînés par les coups de mer des vicissitudes les plus houleuses, des courants les plus variés des temps et des peuples, et cependant restent toujours légers, toujours à la surface,