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HUMAIN, TROP HUMAIN


prodigalité. Mais se sentir en tant qu’humanité (et non seulement qu’individu) prodigué tout de même que nous voyons les fleurs isolées prodiguées par la nature, est un sentiment au-dessus de tous les sentiments. — Qui en est d’ailleurs capable ? Assurément un poète seul : et les poètes savent toujours se consoler.

34.

Pour tranquilliser. — Mais notre philosophie ne devient-elle pas ainsi une tragédie ? La Vérité n’est elle pas hostile à la vie, au mieux ? Une question semble peser sur notre langue et cependant ne pas vouloir être énoncée : si l’on peut consciemment rester dans la contre-vérité ? ou bien, au cas où il faudrait le faire, si la mort n’est pas alors préférable ? Car il n’y a plus de devoir ; la morale, en tant qu’elle était un devoir, est en effet, par notre genre de considération, aussi bien anéantie que la religion. La connaissance ne peut laisser subsister comme motifs que plaisir et peine, utilité et dom-mage : mais comment ces motifs s’arrangeront-ils avec le sens de la vérité ? Eux aussi touchent bien aux erreurs (puisque, comme il a été dit, ce sont la sympathie et l’aversion et toutes leurs mesures très injustes qui déterminent essentiellement le plaisir et la peine). Toute la vie humaine est profondément enfoncée dans la contre-vérité ; l’individu ne peut la