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HUMAIN, TROP HUMAIN


pouvait ainsi se donner des consolations. La passion ne veut pas attendre ; le tragique dans la vie des grands hommes réside souvent, non pas dans leur conflit avec leur époque et la bassesse de leurs contemporains, mais dans leur incapacité de remettre leur œuvre d’une année, de deux années ; ils ne savent pas attendre. — Dans tous les duels, les amis qui donnent des conseils ont à s’assurer de ce point unique, si les ayants cause peuvent encore attendre : si cela n’est pas, un duel est raisonnable, puisque chacun des deux se dit : « Ou je continuerai à vivre, et alors il faut que celui-là meure sur le champ, ou inversement. » Attendre serait en pareil cas continuer encore à souffrir cet épouvantable martyre de l’honneur blessé en face de l’homme qui le blesse ; et cela peut être vraiment plus de souffrance que la vie en somme ne vaut.

62.

Enivrement de vengeance. — Les hommes grossiers qui se sentent offensés ont coutume de mettre aussi haut que possible le degré de l’offense et d’en conter la cause en termes fort exagérés, rien que pour avoir le droit de s’enivrer du sentiment de la haine et de la vengeance une fois éveillé.

63.

Valeur du ravalement. — Beaucoup d’hommes,