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Page:Nietzsche - Humain, trop humain (2ème partie).djvu/210

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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

envers nous-mêmes, tous deux, de la même façon, une fois que notre raison se tait : de la sorte nous n’aurons pas de mots aigres dans la conversation, et nous ne mettrons pas aussitôt les poussettes à l’autre, si par hasard ses paroles nous sont incompréhensibles. Si l’on ne sait pas répondre du tac au tac, il suffit déjà que l’on dise quelque chose : c’est la juste condition que je mets à m’entretenir avec quelqu’un. Dans une conversation un peu longue, le plus sage même devient une fois fol et trois fois niais.

Le voyageur : Ton peu d’exigence n’est pas flatteur pour celui à qui tu l’avoues.

L’ombre : Dois-je donc flatter ?

Le voyageur : Je pensais que l’ombre de l’homme était sa vanité : mais celle-ci ne demanderait pas : « Dois-je donc flatter ? »

L’ombre : La vanité de l’homme, autant que je la connais, ne demande pas non plus, comme j’ai fait deux fois déjà, si elle peut parler : elle parle toujours.

Le voyageur : Je remarque d’abord combien je suis discourtois à ton égard, ma chère ombre : je ne t’ai pas encore dit d’un mot combien je me réjouis de t’entendre et non seulement de te voir. Tu sauras que j’aime l’ombre comme j’aime la lumière. Pour qu’il y ait beauté du visage, clarté de la parole, bonté et fermeté du caractère, l’ombre est nécessaire autant que la lumière. Ce ne sont pas des adversaires : elles se tiennent plutôt amicalement par la main, et quand la lumière disparaît, l’ombre s’échappe à sa suite.