Progrès de la pensée libre. — Il n’y a pas de
meilleur moyen pour rendre intelligible la différence
qu’il y a entre la libre pensée de jadis et la pensée
libre d’aujourd’hui que de se souvenir d’un axiome
célèbre. Pour l’imaginer et le formuler il fallut toute
l’intrépidité du siècle dernier, et pourtant, mesuré
selon notre expérience d’aujourd’hui, il devient une
naïveté involontaire, — je veux parler de l’axiome
de Voltaire : « Croyez-moi, mon ami, l’erreur
aussi a son mérite. »
Un péché originel des philosophes. — Les philosophes se sont emparés de tous temps des axiomes de ceux qui étudient les hommes (moralistes) ; il les ont corrompus, en les prenant dans un sens absolu et en voulant démontrer la nécessité de ce que ceux-ci n’avaient considéré que comme indication approximative, ou même seulement comme la vérité particulière à une ville ou à un pays pendant une dizaine d’années — ; mais par là les philosophes croyaient s’élever au-dessus des moralistes. C’est ainsi que l’on trouvera, comme bases des célèbres doctrines de Schopenhauer concernant la primauté de la volonté sur l’intellect, l’invariabilité du caractère, la négativité de la joie — qui toutes, telles qu’il les entend, sont des erreurs — des principes de sagesse populaire érigés en vérités par des moralistes. Le mot « volonté » que Schopenhauer transforma pour en faire une désignation commune