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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

les avait vu faire autour de soi, ou encore par bienveillance, parce que leur exercice amenait partout la joie et des visages approbateurs, ou enfin par vanité parce qu’ils étaient loués pour cela. De pareilles actions dont on a oublié le motif fondamental, celui de l’utilité, sont alors appelées morales : non peut-être parce qu’elles ont été faites par ces motifs différents, mais parce qu’elles n’ont pas été faites pour des raisons d’une utilité consciente. — D’où vient cette haine de l’utilité qui devient ici visible, alors que toute action louable, exclut littéralement de toute action en vue de l’utilité ? — Il est évident que la société, foyer de toute morale et de toutes les louanges en faveur des actes moraux, a eu à lutter trop longuement et trop durement avec l’intérêt particulier et l’entêtement de l’individu pour ne pas finir par considérer comme supérieur au point de vue moral, tout autre motif que l’utilité. C’est ainsi que naît l’apparence qui fait croire que la morale n’est pas sortie de l’utilité : alors qu’en réalité elle n’est pas autre chose au début que l’utilité publique qui a eu grand’peine à se faire valoir et à se faire prendre en considération contre toutes les utilités privées.

41.

La richesse morale par succession. — Il y a aussi une richesse par succession sur le domaine moral : elle est possédée par les gens doux, charitables, bienveillants, compatissants qui ont hérité de leurs ancêtres tous les bons procédés, mais non point la raison (qui en est la source). L’agrément