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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE



83.

Sauveur et médecin. — Le fondateur du christianisme, en tant que connaisseur de l’âme humaine, n’était pas, comme il va de soi, à l’abri des plus graves défauts et des plus grands préjugés, et, en tant que médecin de l’âme, il s’était adonné à une science décriée et grossière, celle de la médecine universelle. Il fait songer parfois, dans sa méthode, à ce dentiste qui veut guérir toutes les douleurs en arrachant la dent ; c’est le cas, par exemple, quand il lutte contre la sensualité avec le conseil : « Si ton œil te scandalise, arrache-le. » — Mais il y a pourtant une différence : le dentiste atteint du moins son but, supprimer la douleur de son malade, bien que ce soit d’une manière si grossière qu’il en devient ridicule : tandis que le chrétien qui obéit à de semblables conseils et qui croit avoir tué sa sensualité, se trompe : car celle-ci continue à vivre d’une façon mystérieuse et vampirique et elle le tourmente sous des déguisements répugnants.

84.

Les prisonniers. — Un matin les prisonniers sortirent dans la cour du travail : le gardien était absent. Les uns se rendirent immédiatement au travail, comme c’était leur habitude, les autres restaient inactifs et jetaient autour d’eux des regards de défi. Alors l’un d’eux sortit des rangs et dit à voix haute : « Travaillez tant que vous voudrez ou ne faites rien, c’est tout à fait indifférent. Vos secrètes machinations ont été percées à jour, le gar-