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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

étant un peuple qui aime la parole et la lutte, ne supportaient la musique que comme un accessoire des arts sur quoi l’on pût discuter et parler véritablement : tandis que sur la musique il est à peine possible de penser nettement. — Les Pythagoriciens, ces Grecs exceptionnels en bien des matières, étaient aussi, ainsi que l’on prétend, de grands musiciens : ce sont les mêmes qui ont inventé le silence de cinq ans, mais non point la dialectique.

168.

Sentimentalité dans la musique. — Quel que soit le penchant que l’on ait pour la musique sérieuse et grande, à certaines heures on sera toujours subjugué, charmé et attendri par l’opposé de celle-ci. Je veux parler de ces mélismes d’opéra italiens, les plus simples de tous, qui, malgré leur uniformité rythmique et l’enfantillage de leurs harmonies, nous émeuvent parfois comme si nous entendions chanter l’âme même de la musique. Que vous en conveniez ou non, pharisiens du bon goût, il en est ainsi, et pour moi il importe maintenant avant tout de donner à deviner cette énigme et d’aider moi-même un peu à la résoudre. — Lorsque nous étions encore enfants, nous avons goûté pour la première fois le miel de bien des choses ; jamais plus dans la suite, il ne nous parut aussi bon qu’alors ; il induisait à la vie, à la vie la plus longue, sous la forme du premier printemps, des premières fleurs, des premiers papillons, de la première amitié. — Alors — ce fut peut-être vers la neuvième année de notre vie — nous entendîmes la première