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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

aux mœurs et à la moralité : la moralité n’étant que le sentiment que l’on a de l’ensemble des coutumes, sous l’égide desquelles on vit et l’on a été élevé — élevé, non en tant qu’individu, mais comme membre d’un tout, comme chiffre d’une majorité. — C’est ainsi qu’il arrive sans cesse qu’un individu se majore lui-même au moyen de sa moralité.

90.

Le bien et la bonne conscience. — Vous pensez que toutes les bonnes choses ont eu de tout temps une bonne conscience ? — La science, qui est certainement une très bonne chose, a fait son entrée dans le monde, sans celle-ci et sans aucune espèce de pathos, secrètement, bien au contraire, passant le visage voilé ou masqué, comme une criminelle, et toujours affligée du sentiment de faire de la contrebande. Le premier degré de la bonne conscience est la mauvaise conscience — l’une ne s’oppose pas à l’autre : car toute bonne chose commence par être nouvelle, par conséquent inusitée, contraire aux coutumes, immorale, et elle ronge, comme un ver, le cœur de l’heureux inventeur.

91.

Le succès sanctifie les intentions. — Il ne faut point craindre de suivre le chemin qui mène à une vertu, lors même que l’on s’apercevrait que l’égoïsme seul, — par conséquent l’utilité et le bien-être personnels, la crainte, les considérations de santé, de réputation et de gloire, sont les motifs qui y poussent. On dit que ces motifs sont vils et intéres-