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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

d’une discrète forme interrogative, pourrait être la suivante : « Si le Christ a vraiment eu l’intention de sauver le monde n’a-t-il pas manqué son entreprise ? »

99.

Le poète comme indicateur de l’avenir. — Il reste, en une certaine mesure, parmi les hommes d’aujourd’hui un excédent de vigueur qui n’est pas employé à la formation de la vie. Cet excédent devrait, dans la même mesure, être voué, sans déduction, à un seul but, non peut-être à dépeindre le présent, à évoquer et à faire revivre le passé, mais à donner une indication de l’avenir : — et cela ne doit pas être entendu dans ce sens que le poète, semblable à un économiste imaginatif, devrait anticiper, en images, les conditions sociales plus favorables pour le peuple et la société, et la réalisation de ces conditions. Il devra, au contraire, comme firent jadis les artistes avec l’image des dieux, exercer sans cesse son invention sur l’image des hommes et deviner les cas où, au milieu de notre monde moderne et de sa réalité, sans aucune mise en garde ou restriction artificielles devant la réalité, la belle grande âme est encore possible, les cas où, aujourd’hui encore, cette âme saura se présenter sous des conditions harmoniques et proportionnées, devenant durable et prototype, par sa visibilité, et aidant, par conséquent, à créer l’avenir, en excitant la jalousie et l’esprit d’imitation. Les œuvres de pareils poètes se distingueraient par le fait qu’elles apparaîtraient isolées et garanties contre l’atmosphère