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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

conduit fatalement à sa propre perte — jusqu’au saut fatal (et mortel) dans le drame bourgeois ? Que l’on se songe aux conséquences des préceptes socratiques : « La vertu est la sagesse ; on ne pèche que par ignorance ; l’homme vertueux est l’homme heureux. » Ces trois principes de l’optimisme sont la mort de la tragédie. Car, à présent, le héros vertueux doit être dialecticien ; à présent, entre la vertu et la sagesse, entre la foi et la morale, il faut qu’il y ait une liaison visible et nécessaire ; désormais, la conception transcendantale eschyléenne de l’équité est ravalée au principe superficiel et impudent de la « justice poétique », avec son habituel deus ex machina.

Dans cet art théâtral nouveau, socratique et optimiste, quelle est alors la situation du Chœur et en général de toute la substance dionyso-musicale de la tragédie ? Tout cela apparaît comme quelque chose de fortuit, comme une réminiscence inutile, voire superflue, des origines de la tragédie ; tandis que nous avons reconnu que le chœur ne peut être compris que comme cause première, principe générateur, de la tragédie et du tragique en général. Déjà, chez Sophocle, on constate cet embarras à l’égard du chœur, — indice important qui nous montre que, chez lui, la matière dionysienne de la tragédie commence à se désagréger. Il n’ose plus confier au chœur le rôle émotif principal, et restreint son action à un tel point, que ce chœur sem-