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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

ble à présent assimilé aux acteurs, comme s’il eût été transporté de l’orchestre sur la scène ; et, en dépit de l’approbation d’Aristote, son caractère est définitivement altéré. Cette perturbation dans le rôle du chœur, mise en pratique par Sophocle, et même, d’après la tradition, recommandée par lui dans un de ses écrits, est la première étape de cet annihilation du chœur, dont les phases se succèdent avec une effrayante rapidité dans Euripide, Agathon et la comédie nouvelle. Armée du fouet de ses syllogismes, la dialectique optimiste chasse la musique de la tragédie : c’est-à-dire détruit l’essence même de la tragédie, essence qui ne peut être interprétée que comme une manifestation et une objectivation d’états dionysiens, comme une symbolisation visible de la musique, comme le monde de rêve d’une ivresse dionysiaque.

Mais si, même avant Socrate, il nous faut reconnaître déjà les effets d’une tendance antidionysienne qui atteint seulement en lui une extraordinaire et grandiose expression, nous ne devons pas renoncer à approfondir la portée d’un phénomène tel que l’apparition de Socrate, que les dialogues platoniciens ne nous permettent pas de considérer uniquement comme une force négative et dissolvante. Et, si certain qu’il soit que la première conséquence du mouvement socratique fut une adultération de la tragédie dionysienne, un épisode significatif de la vie de Socrate lui-même nous oblige à nous