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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

— devait-il se dire à lui-même — ce qui n’est pas compréhensible pour moi n’est-il pas nécessairement l’incompréhensible ? Peut-être y a-t-il un domaine de la sagesse, d’où le logicien est banni ? Peut-être l’art est-il même un corrélatif, un supplément obligatoire de la science ?

15.

Dans l’ordre d’idées évoqué par ces interrogations suggestives, il faut exposer maintenant comment, jusqu’aujourd’hui et pour toute postérité à venir, l’influence de Socrate s’est étendue sur le monde, comme une ombre qui s’allonge sans cesse sous les rayons du soleil couchant ; comment cette influence impose la nécessité d’une perpétuelle rénovation de l’art — et de l’art dans un sens désormais métaphysique, dans le sens le plus large et le plus profond ; — et comment la durée infinie de cette influence nous garantit la durée infinie de l’art.

Avant qu’il fût possible de reconnaître cette vérité, avant qu’il fût péremptoirement établi que tout art est aux Grecs, et aux Grecs depuis Homère jusqu’à Socrate, dans le rapport de la plus intime dépendance, les Grecs devaient nous faire un effet analogue à celui que Socrate produisait sur les Athéniens. À peu près de tout temps, les cultures successives ont essayé avec humeur de secouer le joug des Grecs, parce que toute création person-