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Page:Nietzsche - L’Origine de la Tragédie.djvu/136

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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

demander s’il y a nécessairement entre le socratisme et l’art une irréductible antinomie, et si l’idée d’un « Socrate artiste » est quelque chose d’absolument contradictoire en soi.

Cet implacable logicien eut en effet, de temps en temps, à l’endroit de l’art, le sentiment d’une omission, d’une lacune, d’un regret, d’un devoir peut-être inaccompli. Il racontait à ses amis, dans sa prison, que souvent une ombre lui était apparue en rêve, toujours la même, et qui lui répétait toujours les mêmes paroles : « Socrate, exerce-toi à la musique ! » Jusqu’à ses derniers jours, il s’était tranquillisé avec la pensée que la philosophie est le plus haut des arts des muses, et il ne pouvait s’imaginer qu’une divinité fût venue lui rappeler la « musique commune, populaire ». Enfin, dans sa prison, pour soulager tout à fait sa conscience, il se décide à s’occuper de cette musique qu’il estimait si peu. Et, dans cet état d’esprit, il compose un hymne à Apollon et met en vers quelques fables d’Ésope. Ce qui le poussa à ces exercices, ce fut quelque chose d’analogue à la voix de son démon familier, ce fut son intuition apollinienne qu’il se trouvait comme un roi barbare ignorant devant une image noble et divine, et qu’il courait le risque d’offenser une divinité — par son ignorance. Ces rêves de Socrate et cette apparition sont le seul indice d’un doute, d’une préoccupation au sujet des limites de la nature logique : peut-être