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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

preinte de l’esprit scientifique également dans les manifestations où il s’affirme hostile à cette puissance de création mythique de la musique. Cette influence se signale dans la formation du dernier dithyrambe attique, dont la musique n’exprimait plus l’essence intime du monde, la Volonté elle-même, mais reproduisait incomplètement la seule apparence, dans une imitation obtenue par l’intermédiaire des idées : musique intrinsèquement dégénérée, qui suscitait chez les natures véritablement musicales l’identique répulsion qu’elles éprouvaient aux tendances, mortelles pour l’art, de Socrate. L’instinct sûr et pénétrant d’Aristophane a certainement démêlé la vérité, lorsqu’il réunit, en un commun objet de haine, Socrate lui-même, la tragédie d’Euripide et la musique des nouveaux dithyrambes, et reconnaît dans ces trois phénomènes les stigmates d’une culture dégénérée. Grâce à ce nouveau dithyrambe, la musique tourne perversement au pastiche, à la contrefaçon de l’apparence, par exemple, d’une bataille, d’une tempête, et est ainsi, à coup sûr, totalement dépouillée de sa puissance de création mythique. En effet, si la musique ne cherche à nous satisfaire qu’en nous forçant à découvrir des analogies extérieures entre un événement de la vie ou un accident de la nature, et certaines figures rhythmiques, telles caractéristiques résonnances musicales, si notre intelligence doit s’accommoder de la simple