moins évidente de mon assertion que l’opéra est le produit de notre culture alexandrine, et est basé sur les mêmes principes. L’opéra est l’œuvre de l’homme théorique, de l’amateur critique, et non de l’artiste : un des phénomènes les plus étranges de l’histoire de tous les arts. Ce fut une exigence d’auditeurs bien pertinemment anti-musicaux, que l’on dût avant tout comprendre les paroles ; de sorte qu’il ne serait possible ainsi d’espérer une renaissance de l’art musical que si l’on parvenait à découvrir une espèce de chant dans laquelle le mot du texte commande à la polyphonie comme le maître à l’esclave, les paroles étant au même degré supérieures à l’harmonie qui les accompagne que l’âme est plus noble que le corps. C’est d’après la grossièreté ignorante et antimusicale de ces théories que fut réalisée, dans les commencements de l’opéra, l’association de la musique, de l’image et de la parole ; c’est aussi suivant les préceptes de cette esthétique que les poètes et les chanteurs à la mode en tentèrent les premiers essais dans les milieux aristocratiques dilettantes de Florence. L’homme artistiquement impuissant se crée à soi-même une forme d’art adéquate justement par cela même qu’il est l’homme anti-artistique en soi. Comme il ne se doute pas de la profondeur dionysiaque de la musique, il métamorphose pour son usage la jouissance musicale en compréhension rationnelle d’une rhétorique de la passion faite de
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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE