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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

d’un buisson d’épines naissent des roses. Comment ce peuple aux émotions si délicates, aux désirs si impétueux, ce peuple si exceptionnellement idoine à la douleur, aurait-il pu supporter l’existence, s’il n’en avait contemplé dans ses dieux l’image plus pure et radieuse. Ce même instinct, qui réclame l’art dans la vie, comme l’ornement, le couronnement de l’existence, comme le charme qui nous entraîne à continuer de vivre, engendra aussi le monde olympien, qui fut pour la « Volonté » hellénique le miroir où sa propre image se reflétait transfigurée. Ainsi les dieux, en la vivant eux-mêmes, justifient la vie humaine, — unique théodicée satisfaisante ! Au clair soleil de ces dieux de lumière, l’existence apparaît comme digne en soi de l’effort de la vivre, et la véritable douleur des hommes homériques est alors d’être privés de cette existence et, avant tout, de penser à la mort prochaine ; de sorte qu’on peut dire maintenant, en renversant la sentence de Silène, que, « pour eux, la pire des choses est une mort rapide et, en second lieu, de devoir mourir un jour ». Après que, pour la première fois, la plainte a retenti, elle jaillit de nouveau des lèvres d’Achille aux brèves années, elle s’élève de la multitude errante des races humaines semblables aux feuilles dispersées au gré du vent, son écho remplit le déclin de l’âge héroïque. Il n’est pas indigne des plus grands héros de désirer conserver la vie, même au prix d’un travail d’esclave. Sous l’influence apolli-