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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

faculté de rêve du peuple et de la nature en général. La « naïveté » homérique ne doit être comprise que comme la complète victoire de l’illusion apollinienne : c’est une illusion semblable à celles suscitées si souvent par la nature pour en arriver à ses fins. Le dessein véritable est dissimulé sous une trompeuse apparence : nous tendons les bras vers cette image, et, par notre illusion, la nature atteint son but. Chez les Grecs, la « Volonté » voulait se contempler soi-même, dans la transfiguration du génie et de l’art ; pour se glorifier, il fallait que les créatures de cette « Volonté » se sentissent elles-mêmes dignes d’être glorifiées ; il fallait qu’elles se reconnussent dans une sphère supérieure, sans que la perfection de ce monde idéal agît comme une contrainte ou comme un reproche. Et c’est la sphère de beauté, dans laquelle elles voyaient les Olympiens comme leur propre image. À l’aide de ce mirage de beauté, la « Volonté » hellénique combattit cette aptitude à la souffrance, cette philosophie du mal et de la douleur, apanages corrélatifs de tout instinct artistique : et, tel un monument commémorant sa victoire, se dresse devant nous Homère, l’artiste naïf.

4.

L’analogie du rêve peut nous éclairer sur la nature de cet artiste naïf. Si nous imaginons le rêveur, plongé dans l’illusion du monde des rêves, et, sans