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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

lisation. Ce que l’humanité pouvait acquérir de plus précieux et de plus haut, elle l’obtient par un crime, et il lui faut en accepter désormais les conséquences, c’est-à-dire tout le torrent de maux et de tourments dont les immortels courroucés — doivent affliger la race humaine dans sa noble ascension. C’est là une âpre pensée qui, par la dignité qu’elle confère au crime, contraste étrangement avec le mythe sémitique de la chute de l’homme, où la curiosité, le mensonge, la convoitise, bref un cortège de sentiments plus spécialement féminins sont regardés comme l’origine du mal. Ce qui distingue la conception aryenne, c’est l’idée sublime du péché efficace considéré comme la véritable vertu prométhéenne ; et ceci nous livre en même temps le fondement éthique de la tragédie pessimiste : la justification de la souffrance humaine, justification non seulement de la faute de l’homme, mais aussi des maux qui en sont la conséquence. Le mal dans l’essence des choses, — dont l’aryen contemplatif n’est pas enclin à détourner sa pensée, — le conflit dans le cœur du monde, se manifeste à lui comme un chaos de mondes différents, d’un monde divin et d’un monde humain, par exemple, dont chacun est dans son droit en tant qu’ « individu », mais, comme tel en face d’un autre, doit souffrir pour son individuation. Par l’héroïque élan de l’individu dans l’universel, par sa tentative de rompre le réseau de