Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/142

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cruauté d’artiste, cette volupté à se façonner comme on ferait d’une matière résistante et sensible, à se marquer de l’empreinte d’une volonté, d’une critique, d’une contradiction, d’un mépris, d’une négation, ce travail inquiétant, plein d’une joie épouvantable, le travail d’une âme volontairement disjointe qui se fait souffrir par plaisir de faire souffrir, toute cette « mauvaise conscience » agissante, en véritable génératrice d’événements spirituels et imaginaires, a fini par amener à la lumière — on le devine déjà — une abondance d’affirmations, de nouvelles et d’étranges beautés, et peut-être lui doit-on même la naissance de la beauté même… Qu’est-ce qui serait « bon » si la contradiction n’était pas devenue consciente d’elle-même, si la laideur ne s’était pas dit à elle-même « je suis laide » ? Du moins cette indication rendra-t-elle moins énigmatique la question de savoir en quelle mesure des notions contradictoires comme le désintéressement, l’abnégation, le sacrifice de soi peuvent renfermer un idéal, une beauté ; et il y a une chose que l’on saura dorénavant, j’en suis certain —, la qualité de la volupté qu’éprouve de tout temps celui qui pratique le désintéressement, l’abnégation, le sacrifice de soi : cette volupté est de la même essence que la cruauté.