Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/173

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miers temps et celle qu’il adopta plus tard, — celle-là trouve son expression dans Opéra et Drame par exemple, celle-ci dans les ouvrages publiés depuis 1870. Il est à remarquer que, chose étrange ! Wagner changea dès lors sans scrupule son opinion sur la valeur et la situation de la musique même : que lui importait qu’il eût fait d’elle jusqu’alors un moyen, un médium, une « femme », qui, pour fructifier, avait absolument besoin d’un but, — d’un homme — c’est-à-dire du drame ! Il comprit tout à coup qu’avec la théorie et l’innovation de Schopenhauer il y avait davantage à faire in majorem musicæ gloriam, — je veux parler de la souveraineté de la musique telle que l’entendait Schopenhauer : la musique placée à part, en face de tous les autres arts, art indépendant par elle-même, non pas, comme les autres arts, simple reflet du monde des phénomènes, mais langage de la volonté même, parlant directement du fond de l’« abîme », comme sa révélation la plus personnelle, la plus fondamentale, la plus immédiate. Avec cette augmentation extraordinaire dans l’évaluation de la musique, telle qu’elle semblait ressortir de la philosophie de Schopenhauer, s’élevait du même coup, de façon colossale, l’estime où l’on tenait le musi-