Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/184

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plutôt que de se reposer sur elle. On connaît les trois mots de parade de l’idéal ascétique : pauvreté, humilité, chasteté : et maintenant qu’on examine une fois de près la vie de tous les grands esprits féconds et inventifs, — on retrouvera toujours, à un certain degré, ces trois mots. Absolument pas, bien entendu, comme s’il s’agissait de leurs « vertus » — une telle espèce d’hommes se soucie bien de vertus ! — mais comme conditions propres et naturelles à l’épanouissement de leur existence, à leur plus grande fécondité. Avec cela, il est fort possible que leur spiritualité dominante ait dû d’abord mettre un frein à l’orgueil effréné et irritable, à la sensualité pétulante qu’ils possédaient de nature, ou bien encore qu’ils aient eu une peine infinie à maintenir leur volonté du « désert » contre un penchant pour ce qui est délicat et rare, ainsi que contre une libéralité magnifique qui prodigue les dons du cœur et de la main. Mais leur spiritualité a agi précisément parce qu’elle était l’instinct dominant qui impose sa loi aux autres instincts — et elle agit encore ainsi ; autrement elle ne dominerait pas. Il n’est donc pas question ici de « vertus ». Du reste, le désert dont je parlais tout à l’heure, le désert où se retirent et s’isolent