Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/238

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d’une chose : provoquer un débordement du sentiment, — et cela comme le stupéfiant le plus efficace contre la douleur lente, sourde et paralysante ; c’est pourquoi l’esprit inventif du prêtre s’est montré littéralement inépuisable dans l’examen de cette question unique : « Comment provoque-t-on un débordement du sentiment ?… Cela est dur à entendre et il est évident que l’oreille serait moins choquée si je disais par exemple : « le prêtre ascétique a su utiliser de tout temps l’enthousiasme qui anime toutes les fortes passions » ? Mais pourquoi vouloir flatter encore les oreilles tendres de nos efféminés modernes ? Pourquoi céderions-nous, ne fût-ce que d’un pas, à la tartuferie de leur langage ? Pour nous autres psychologues ce serait déjà une tartuferie en fait ; abstraction faite du dégoût que cela nous causerait. Si, de nos jours, un psychologue témoigne quelque part de son bon goût (— d’autres diraient de son esprit de justice), c’est en résistant au langage honteusement moraliste, qui empâte tous les jugements modernes sur les hommes et les choses. Car qu’on ne s’y trompe pas : la marque distinctive des âmes modernes, des livres modernes, ce n’est pas le mensonge mais l’innocence incarnée dans le moralisme