Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/54

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de force plastique, régénératrice et curative qui va jusqu’à faire oublier. (Un bon exemple dans ce genre, pris dans le monde moderne, c’est Mirabeau, qui n’avait pas la mémoire des insultes, des infamies que l’on commettait à son égard, et qui ne pouvait pas pardonner, uniquement parce qu’il — oubliait). Un tel homme, en une seule secousse, se débarrasse de beaucoup de vermine qui chez d’autres s’installe à demeure ; c’est ici seulement qu’est possible le véritable « amour pour ses ennemis », à supposer qu’il soit possible sur terre. Quel respect de son ennemi a l’homme supérieur ! — et un tel respect est déjà la voie toute tracée vers l’amour… Sinon comment ferait-il pour avoir son ennemi à lui, un ennemi qui lui est propre comme une distinction, car il ne peut supporter qu’un ennemi chez qui il n’y ait rien à mépriser et beaucoup à vénérer ! Par contre, si l’on se représente « l’ennemi » tel que le conçoit l’homme du ressentiment, — on constatera que c’est là son exploit, sa création propre : il a conçu « l’ennemi méchant », le « malin » en tant que concept fondamental, et c’est à ce concept qu’il imagine une antithèse « le bon », qui n’est autre que — lui-même…