Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/88

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société et sa moralité des mœurs présentent enfin au jour ce pour quoi elles n’étaient que moyens : et nous trouverons que le fruit le plus mûr de l’arbre est l’individu souverain, l’individu qui n’est semblable qu’à lui-même, l’individu affranchi de la moralité des mœurs, l’individu autonome et supramoral (car « autonome » et « moral » s’excluent), bref l’homme à la volonté propre, indépendante et persistante, l’homme qui peut promettre, — celui qui possède en lui-même la conscience fière et vibrante de ce qu’il a enfin atteint par là, de ce qui s’est incorporé en lui, une véritable conscience de la liberté et de la puissance, enfin le sentiment d’être arrivé à la perfection de l’homme. Cet homme affranchi qui peut vraiment promettre, ce maître du libre arbitre, ce souverain — comment ne saurait-il pas quelle supériorité lui est ainsi assurée sur tout ce qui ne peut pas promettre et répondre de soi, quelle confiance, quelle crainte, quel respect il inspire — il « mérite » tout cela — et qu’avec ce pouvoir sur lui-même, le pouvoir sur les circonstances, sur la nature et sur toutes les créatures de volonté plus bornée et de relations moins sûres, lui est nécessairement remis entre les mains ? L’homme « libre », le détenteur d’une vaste