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Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/120

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imperfections un attrait supérieur à celui des choses qui s’achèvent et prennent une forme parfaite sous sa main, — il tient même l’avantage et la gloire bien plus de son impuissance finale que de sa force abondante. Son œuvre n’exprime jamais complètement ce qu’il voudrait exprimer au fond, ce qu’il voudrait avoir vu : il semble qu’il ait eu l’avant-goût d’une vision et jamais la vision elle-même : — mais un énorme désir de cette vision est demeuré dans son âme, et c’est de ce désir qu’il tire l’éloquence tout aussi énorme que lui donnent l’envie et la faim. Avec lui il élève celui qui l’écoute au-dessus de son œuvre et au-dessus de toutes les « œuvres », il lui donne des ailes pour monter plus haut que des auditeurs ne sont jamais montés ; et, transformés ainsi eux-mêmes en poètes et en voyants, ils ont pour l’artisan de leur bonheur une admiration telle que s’il les avait amenés immédiatement à la contemplation de ce qu’il a de plus saint et de plus caché, comme s’il avait atteint son but, comme s’il avait vraiment vu et communiqué sa vision. Sa gloire a profité de ce qu’il n’a pas véritablement atteint son but.

80.

Art et nature. — Les Grecs (ou du moins les Athéniens) aimaient à entendre bien parler : c’était même une prédilection des plus violentes qui les distingue plus que toute autre chose des autres nations. Et ainsi ils exigeaient même de la passion sur la scène qu’elle parlât bien, et c’est avec