Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/122

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trait vulgaire de l’illusion cède la place à un attrait supérieur ! Les Grecs vont très loin dans cette voie, loin — effroyablement loin ! Tout comme ils construisent la scène aussi étroite que possible et s’interdisent tout effet par la profondeur des arrière-plans, tout comme ils rendent impossible à l’acteur le jeu muet et le mouvement léger, pour le transformer en un fantôme solennel, guindé et blafard, ils ont aussi pris à la passion elle-même son arrière-plan profond, pour lui dicter une règle de beau discours, oui, ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour aller contre l’effet élémentaire des images qui éveillent la crainte ou la pitié : car ils ne veulent pas la crainte et la pitié. — Honneur à Aristophane, le plus grand honneur ! mais il n’a certainement pas touché juste lorsqu’il a parlé de l’ultime but de la tragédie grecque. Que l’on étudie donc les poètes grecs de la tragédie, pour voir ce qui a le plus excité leur esprit d’application, leur esprit inventif, leur émulation, — ce ne fut certainement pas l’intention de subjuguer le spectateur par les passions ! — L’Athénien allait au théâtre pour entendre de beaux discours ! Et c’est de beaux discours que s’occupait Sophocle ! — que l’on me pardonne cette hérésie. — Il en est tout autrement de l’opéra sérieux : tous ses grands maîtres prennent à cœur d’éviter que l’on comprenne leurs personnages. Un mot saisi au passage peut aider le spectateur inattentif : dans l’ensemble il faut que la situation s’explique par elle-même, — les discours n’ont aucune importance ! — c’est ainsi qu’ils ont tous pensé et c’est ainsi qu’ils se sont tous amusés à