Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/130

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ceci qu’il sent une idée plus vraie lorsqu’elle prend une forme métrique et s’avance avec un divin « houpsa ».[1] N’est-ce pas chose très plaisante que les philosophes les plus sérieux, malgré toute la sévérité qu’ils mettent d’autre part à manier les certitudes, s’appuient toujours encore sur des sentences de poètes pour donner à leurs idées de la force et de l’authenticité ? — et pourtant il est plus dangereux pour une idée d’être approuvée par les poètes que d’être contredite par eux ! Car, comme dit Homère : « Les poètes mentent beaucoup ! » —

85.

Le bien et le beau. — Les artistes glorifient sans cesse — ils ne font pas autre chose — : ils glorifient toutes les conditions et tous les objets qui ont la réputation de pousser l’homme à se sentir bon, ou grand, ou ivre, ou joyeux, ou bien portant et sage. Ces conditions et ces objets choisis, dont la valeur, pour le bonheur humain, est considérée comme certaine et déterminée, sont l’objectif des artistes ; ceux-ci sont sans cesse aux aguets pour découvrir de pareilles choses afin de les transporter dans le domaine de l’art. Je veux dire : ils ne sont pas eux-mêmes les taxateurs du bonheur et des événements heureux, mais ils s’empressent toujours auprès de ces taxateurs, avec la plus grande curiosité et le désir de s’approprier immédiatement leurs évaluations. C’est pourquoi, puisque, en dehors de leur impatience, ils ont aussi la voix puissante des hérauts et les pieds des coureurs, ils seront toujours

  1. Un tressaut divin.