Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/165

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qui tomba sur elles ou bien les reçut par héritage accomplit la lutte pour lui et ses descendants avec plus de bonheur. Il y a beaucoup de ces articles de foi erronés qui, transmis par héritage, ont fini par devenir une sorte de masse et de fond humains ; on admettait, par exemple, qu’il existe des choses qui sont pareilles, qu’il existe des objets, des matières, des corps, qu’une chose est ce qu’elle paraît être, que notre volonté est libre, que ce qui est bon pour les uns est bon en soi. Ce n’est que fort tardivement que se présentèrent ceux qui niaient et mettaient en doute de pareilles propositions, — ce n’est que fort tardivement que surgit la vérité, cette forme la moins efficace de la connaissance. Il semble que l’on ne puisse pas vivre avec elle, notre organisme étant accommodé pour l’opposé de la vérité ; toutes ses fonctions supérieures, les perceptions des sens et, d’une façon générale, toute espèce de sensation, travaillaient avec ces antiques erreurs fondamentales qu’elles s’étaient assimilées. Plus encore : ces propositions devinrent même, dans les bornes de la connaissance, des normes d’après lesquelles on évaluait le « vrai » et le « non-vrai » — jusque dans les domaines les plus éloignés de la logique pure. Donc : la force de la connaissance ne réside pas dans son degré de vérité, mais dans son ancienneté, son degré d’assimilation, son caractère en tant que condition vitale. Où ces deux choses, vivre et connaître, semblaient entrer en contradiction il n’y a jamais eu de lutte sérieuse : sur ce domaine la négation et le doute étaient de la folie. Ces penseurs d’exception qui, comme