Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/166

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les Éléates, établirent et maintinrent malgré cela les antinomies des erreurs naturelles, s’imaginèrent qu’il était aussi possible de vivre ces antinomies : ils inventèrent le sage, l’homme de l’immuabilité, de l’impersonnalité, de l’universalité de conception, à la fois un et tout, avec une faculté propre pour cette connaissance à rebours ; ils croyaient que leur connaissance était en même temps le principe de la vie. Cependant, pour pouvoir prétendre tout cela, il leur fallut se tromper sur leur propre état : ils durent s’attribuer de l’impersonnalité et de la durée sans changement, méconnaître l’essence de la connaissance, nier la puissance des instincts dans la connaissance et considérer, en général, la raison comme une activité absolument libre, sortie d’elle-même ; ils ne voulaient pas voir qu’eux aussi étaient arrivés à leurs principes, soit en contredisant les choses existantes, soit par besoin de repos, ou de possession, ou de domination. Le développement plus subtil de la probité et du scepticisme rendit enfin ces hommes également impossibles. Leur vie et leur jugement apparurent également comme dépendant des antiques instincts et erreurs fondamentales de toute vie sensitive. Ce scepticisme et cette probité plus subtile se formaient partout où deux principes opposés semblaient applicables à la vie, parce que tous deux s’accordaient avec les erreurs fondamentales, où l’on pouvait donc discuter sur le degré plus ou moins considérable d’utilité pour la vie ; de même, là où des principes nouveaux, s’ils ne se montraient pas favorables à la vie, ne lui étaient du moins pas nuisibles, étant plutôt les