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fois l’égoïsme comme une chose pénible, comme un véritable mal. Être soi-même, s’évaluer soi-même d’après ses propres mesures et ses propres poids — cela passait alors pour inconvenant. Un penchant que l’on aurait manifesté dans ce sens aurait passé pour de la folie : car toute misère et toute crainte était liée à la solitude. Alors le « libre arbitre » était voisin de la mauvaise conscience, et plus l’on agissait d’une façon dépendante, plus l’instinct de troupeau, et non le sens personnel, ressortait de l’action, plus on se considérait comme moral. Tout ce qui nuisait au troupeau, que l’individu l’ait voulu ou non, lui causait alors des remords — et non seulement à lui, mais encore à son voisin, oui même à tout le troupeau ! — C’est en cela que nous avons le plus changé notre façon de penser.

118.

Bienveillance. — Cela est-il vertueux qu’une cellule se transforme jusqu’à remplacer ses fonctions par celles d’une cellule plus forte ? Il faut qu’elle le fasse. Et est-ce mal quand la cellule plus forte s’assimile la cellule plus faible ? Il faut également qu’elle le fasse ; cela est donc nécessaire pour elle, car elle aspire à un dédommagement abondant et elle veut se régénérer. On aura donc à distinguer dans la bienveillance : l’instinct d’assimilation et l’instinct de soumission, selon que le plus fort ou le plus faible marquent de la bienveillance. Le plaisir et le désir d’accaparer se réunissent chez le plus fort qui veut transformer quelque chose en