Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/179

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les louanges de la science (dans le bref à Béroalde) : il la désignait comme le plus bel ornement et le plus grand orgueil de notre vie, comme une noble occupation, dans le bonheur et dans le malheur. « Sans elle, dit-il pour finir, toute entreprise humaine serait sans point d’appui, — et même avec elle tout cela demeure bien assez changeant et incertain ! » Mais ce pape, passablement sceptique, tait, comme tous les louangeurs ecclésiastiques, son dernier jugement sur la science. On remarquera peut-être, dans ses paroles, qu’il place la science au-dessus de l’art, ce qui est assez singulier pour un ami de l’art, mais ce n’est en somme qu’une amabilité s’il ne parle pas de ce que, lui aussi, place bien au-dessus de la science : de la « vérité révélée » et de l’« éternel salut de l’âme », — que lui sont, à côté de cela, les parures, les fiertés, les divertissements et les garanties de la vie ! « La science est une chose de deuxième rang, ce n’est pas une chose dernière, absolue, un objet de la passion », — ce jugement resta au fond de l’âme du pape Léon : c’est le véritable jugement chrétien sur la science ! Dans l’antiquité la dignité et la légitimité de la science en étaient tellement amoindries que, même parmi ses disciples les plus fervents, l’aspiration à la vertu se trouvait au premier rang et que l’on croyait avoir décerné à la connaissance la plus haute louange en la glorifiant comme le meilleur chemin pour parvenir à la vertu. C’est une chose nouvelle dans l’histoire que la connaissance veuille être plus qu’un moyen.