Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/183

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L’homme irréfléchi se figure que seule la volonté est agissante ; vouloir serait selon lui quelque chose de simple, de prévu, d’indéductible, de compréhensible en soi. Il est convaincu, lorsqu’il fait quelque chose, par exemple lorsqu’il porte un coup, que c’est lui qui frappe, et qu’il frappe parce qu’il voulait frapper. Il ne remarque pas du tout qu’il y a là un problème, car la sensation de la volonté lui suffit, non seulement pour admettre la cause et l’effet, mais encore pour croire qu’il comprend leur rapport. Il ne sait rien du mécanisme de l’action et du centuple travail subtil qui doit s’accomplir pour qu’il en arrive à frapper, de même il ne sait rien de l’incapacité foncière de la volonté pour faire même la plus petite partie de ce travail. La volonté est pour lui une force qui agit d’une façon magique : une foi en la volonté, comme cause d’effets, est une foi en des forces agissant d’une façon magique. Or, primitivement, l’homme, partout où il voyait une action, imaginait une volonté comme cause, un être doué d’un vouloir personnel agissant à l’arrière-plan, — l’idée de mécanique était bien loin de lui. Mais puisque l’homme, durant de longs espaces de temps, n’a cru qu’en des personnes (et non à des matières, des forces, des objets, etc.), la croyance aux causes et aux effets est devenue pour lui croyance fondamentale, dont il se sert partout où quelque chose arrive, — et cela aujourd’hui encore, instinctivement, comme une sorte d’atavisme d’origine ancienne. Les principes « pas d’effet sans cause », « chaque effet est une nouvelle cause » apparaissent comme des généralisations de principes au sens