Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/241

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en une confiance illimitée — tu te refuseras à t’arrêter devant une dernière sagesse, une dernière bonté et une dernière puissance, et à déharnacher tes pensées — tu n’auras pas de gardien et d’ami de toute heure pour tes sept solitudes — tu vivras sans avoir une échappée sur cette montagne qui porte de la neige sur son sommet et des flammes dans son cœur — il n’y aura plus pour toi de rémunérateur, de correcteur de dernière main, — il n’y aura plus de raison dans ce qui se passe, plus d’amour dans ce qui t’arrivera — ton cœur n’aura plus d’asile, où il ne trouve que le repos, sans avoir rien à chercher. Tu te défendras contre une paix dernière, tu voudras l’éternel retour de la guerre et de la paix : — homme du renoncement, voudras-tu renon­cer à tout cela ? Qui t’en donnera la force ? Personne encore n’a jamais eu cette force ! » — Il existe un lac qui un jour se refusa à s’écouler, et qui construisit une digue à l’endroit où jusque-là il s’écoulait : depuis lors le niveau de ce lac s’élève toujours davantage. Peut-être ce renoncement nous prêtera-t-il justement la force qui nous permettra de supporter le renoncement ; peut-être l’homme s’élèvera-t-il toujours davantage à partir du moment où il ne s’écoulera plus dans le sein d’un Dieu.

286.

Digression. — Voici des espoirs ; mais que serez-vous capable d’en voir et d’en entendre si, dans votre âme, vous n’avez pas vécu la splendeur des flammes et de l’aurore ? Je ne puis que faire souve-