Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/242

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nir — et pas davantage ! Remuer des pierres, changer les animaux en hommes — est-ce cela que vous voulez de moi ? Hélas ! si vous êtes encore des pierres et des animaux, cherchez d’abord votre Orphée !

287.

Joie de l’aveuglement. — « Mes pensées, dit le voyageur à son ombre, doivent m’indiquer où je me trouve : mais elles ne doivent pas me révéler où je vais. J’aime l’ignorance de l’avenir et je ne veux pas périr à m’impatienter et à goûter par anticipation les choses promises. »

288.

État d’âme élevé. — Il me semble que, d’une façon générale, les hommes ne croient pas à des états d’âmes élevés, si ce n’est pour des instants, tout au plus pour des quarts d’heure, — exception faite de quelques rares individus qui, par expérience, connaissent la durée dans les sentiments élevés. Mais être l’homme d’un seul sentiment élevé, l’incarnation d’un unique, grand état d’âme — cela n’a été jusqu’à présent qu’un rêve et une ravissante possibilité : l’histoire n’en donne pas encore d’exemple certain. Malgré cela il se pourrait qu’elle mît un jour au monde de tels hommes, — cela arrivera lorsque sera créée et fixée une série de conditions favorables, que maintenant le hasard le plus heureux ne saurait réunir. Peut-être que, chez ces âmes