Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/243

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de l’avenir cet état exceptionnel qui nous saisit, çà et là en un frémissement, serait précisément l’état habituel : un continuel va-et-vient entre haut et bas, un sentiment de haut et de bas, de monter sans cesse des étages et en même temps de planer sur des nuages.

289.

Sur les vaisseaux. — Si l’on considère comment agit sur chaque individu la justification générale et philosophique de sa façon de vivre et de penser — c’est-à-dire comme un soleil qui brille exprès pour cet individu, un soleil qui réchauffe, bénit et féconde, combien cette justification rend indépendant des louanges et des blâmes, satisfait, riche, prodigue en bonheur et en bienveillance, combien elle transmue sans cesse le mal en bien, fait fleurir et mûrir toutes les forces et empêche de croître la petite et la grande mauvaise herbe de l’affliction et du mécontentement : — on finira par s’écrier sur un ton de prière : Oh ! que beaucoup de ces nouveaux soleils soient encore créés ! Les méchants, eux aussi, les malheureux, les hommes d’exception, doivent avoir leur philosophie, leur bon droit, leur rayon de soleil ! Ce n’est pas la pitié pour eux qui est nécessaire ! — il faut que nous désapprenions cet accès d’orgueil, quoique ce soit précisément sur eux que l’humanité s’est longtemps instruite et exercée — nous n’avons pas à instituer pour eux des confesseurs, des nécromanciens et des sentences absolutoires ! C’est une nouvelle justice qui est né-