Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/266

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

émeraudes au fond du gouffre, jetez, par-dessus, vos blanches dentelles infinies de mousse et d’écume. — Je souscris à tout, car tout cela vous sied si bien, et je vous en sais infiniment gré : comment vous trahirais-je ? Car, — écoutez bien ! — je vous connais, je connais votre secret, je sais de quelle espèce vous êtes ! Vous et moi, nous sommes d’une même espèce ! — Vous et moi, nous avons un même secret !

311.

Lumière brisée. — On n’est pas toujours brave et, lorsqu’on en vient à être fatigué, il arrive parfois qu’on se lamente ainsi : « Il est si pénible de faire mal aux hommes — oh ! pourquoi cela est-il nécessaire ? Que sert-il de vivre caché si nous ne voulons pas garder pour nous ce qui cause scandale ? Ne serait-il pas plus prudent de vivre dans la mêlée et de réparer, sur les individus, les péchés commis, qui doivent être commis, sur tous ? Être fort avec les insensés, vaniteux avec les vaniteux, enthousiaste avec les enthousiastes ? Ne serait-ce pas équitable, puisque nous dévions de l’ensemble avec une telle pétulance ? Lorsque j’entends parler de la méchanceté des autres à mon égard, — mon premier sentiment n’est-il pas celui de la satisfaction ? C’est bien ainsi ! — ai-je l’air de leur dire — je m’accorde si mal avec vous et j’ai tant de vérité de mon côté : faites-vous donc du bon sang à mes dépens aussi souvent que vous le pourrez. Voici mes défauts et mes erreurs, voici ma folie, mon mauvais goût, ma