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instants sublimes ! Ceux-là sont les hommes héroïques, les grands messagers de douleur de l’humanité : ces rares individus dont il faut faire la même apologie que pour la douleur en général, — et, en vérité ! il ne faut pas la leur refuser. Ce sont des forces de premier ordre pour conserver et faire progresser l’espèce : ne fût-ce qu’en résistant au sentiment de bien-être et en ne cachant pas leur dégoût de cette espèce de bonheur.

319.

Interprètes des événements de notre vie. — Une espèce de franchise a toujours manqué à tous les fondateurs de religion et à ceux qui leur ressemblent : — ils n’ont jamais fait des événements de leur vie une question de conscience pour la connaissance. « Que m’est-il arrivé, en somme ? Que se passa-t-il alors en moi et autour de moi ? Ma raison fut-elle assez claire ? Ma volonté était-elle armée contre toutes les duperies des sens et brave dans sa résistance contre les duperies de l’imagination ? » — Aucun d’eux ne s’est posé cette question et tous nos bons religieux ne se la posent pas non plus aujourd’hui : ils ont par contre une soif des choses qui sont contre la raison et ne veulent pas avoir trop de peine à la satisfaire, — c’est ainsi qu’il leur arrive des miracles et des « régénérescences », c’est ainsi qu’ils entendent la voix des anges ! Mais nous, nous autres qui avons soif de la raison, nous voulons examiner les événements de notre vie aussi sévèrement que s’ils étaient des expériences scien-