Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/276

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velle, ne fût-ce même qu’une nouvelle occasion de force ! Les prédicateurs de la morale, quels thèmes n’ont-ils pas brodés sur la « misère » intérieure des hommes méchants ? Et quels mensonges nous ont-ils racontés sur le malheur des hommes passionnés ! — oui, mensonges, c’est là le vrai mot : ils connaissaient fort bien l’extrême bonheur de cette espèce d’hommes, mais ils s’en sont tus parce qu’il était une réfutation de leur théorie, d’après quoi tout bonheur ne naît que de l’anéantissement de la passion et du silence de la volonté ! Et pour ce qui en est enfin de la recette de tous ces médecins de l’âme et de leurs recommandations d’une cure radicale et rigoureuse, il sera permis de demander : notre vie est-elle vraiment assez douloureuse et assez odieuse pour l’échanger avec avantage contre le stoïcisme d’un genre de vie pétrifié ? Nous ne nous sentons pas assez mal pour devoir nous sentir mal à la façon stoïque !

327.

Prendre au sérieux. — L’intellect est chez presque tout le monde une machine pesante, obscure et gémissante qui est difficile à mettre en marche : ils appellent cela « prendre la chose au sérieux » quand ils veulent travailler et bien penser avec cette machine — oh ! combien ce doit être pénible pour eux de « bien penser » ! La gracieuse bête humaine a l’air de perdre chaque fois sa bonne humeur quand elle se met à bien penser ; elle devient « sérieuse » ! Et, « partout où il y a