Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/277

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rires et joies, la pensée ne vaut rien » : c’est là le préjugé de cette bête sérieuse contre tout « gai savoir ». Eh bien ! Montrons que c’est là un préjugé !

328.

Nuire à la bêtise. — Certainement la réprobation de l’égoïsme, croyance prêchée avec tant d’opiniâtreté et de conviction, a en somme nui à l’égoïsme (au bénéfice des instincts de troupeau, comme je le répéterai mille fois !) surtout par le fait qu’elle lui a enlevé la bonne conscience, enseignant à chercher dans l’égoïsme la véritable source de tous les maux. « La recherche de ton propre intérêt est le malheur de ta vie » — voilà ce qui fut prêché pendant des milliers d’années : cela fit beaucoup de mal à l’égoïsme et lui prit beaucoup d’esprit, beaucoup de sérénité, beaucoup d’ingéniosité, beaucoup de beauté, il fut abêti, enlaidi, envenimé ! — L’antiquité philosophique enseigna par contre une autre source principale du mal : depuis Socrate les penseurs ne se sont pas fatigués à prêcher : « Votre étourderie et votre bêtise, la douceur de votre vie régulière, votre subordination à l’opinion du voisin, voilà les raisons qui vous empêchent si souvent d’arriver au bonheur, — nous autres penseurs nous sommes les plus heureux parce que nous sommes des penseurs. » Ne décidons pas ici si ce sermon contre la bêtise a de meilleures raisons en sa faveur que cet autre sermon contre l’égoïsme ; une seule chose est certaine, c’est qu’il a enlevé à