Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/319

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sans cesse dans les nuées orageuses des plus hauts problèmes et des plus dures responsabilités, qui est forcé d’y vivre (qui n’est donc nullement contemplatif, en dehors, indifférent, sûr, objectif…). Le peuple honore une tout autre catégorie d’hommes, lorsqu’il se fait, de son côté, un idéal du « sage », et il a mille fois raison de rendre hommage à ces hommes avec les paroles et les honneurs les plus choisis : ce sont les natures de prêtre, douces et sérieuses, simples et chastes, et tout ce qui est de leur espèce ; — c’est à eux que vont les louanges que prodigue à la sagesse la vénération du peuple. Et envers qui le peuple aurait-il raison de se montrer plus reconnaissant, si ce n’est envers ces hommes qui sortent de lui et demeurent de son espèce, mais comme s’ils étaient sacrifiés et choisis, sacrifiés pour son bien — ils se croient eux-mêmes sacrifiés à Dieu — ? auprès de qui le peuple peut impunément verser son cœur, se débarrasser de ses secrets, de ses soucis et de choses pires encore (— car l’homme qui « se confie » se débarrasse de lui-même, et celui qui a « avoué » oublie). Ici s’impose une grande nécessité : car, pour les immondices de l’âme, il est aussi besoin de canaux d’écoulement et d’eaux propres et proprifiantes, il est besoin de rapides fleuves d’amour et de cœurs vaillants, humbles et purs qui se prêtent à un tel service sanitaire non public, qui se sacrifient — car c’est bien là un sacrifice, un prêtre reste et demeure un sacrificateur d’hommes. Le peuple considère ces hommes sacrifiés et silencieux, ces hommes sérieux de la « foi », comme des sages,